Champs d’action

Les troubles psychotraumatiques complexes

Article du Docteur Gérard Lopez

La façon d’aborder et de traiter une victime d’agression unique est très différente de celle d’une victime qui a subi des événements traumatiques anciens et répétés.
Une agression unique entraine généralement un état de stress post traumatique avec des particularités dues à la nature de l’événement traumatique causal.
Les agressions répétées (on parle de traumatismes de type 2), très fréquentes, entrainent des troubles de la régulation des affects, mais aussi des effractions narcissiques et des troubles identitaires qui affectent profondément la personnalité des sujets victimes.
En consultation, les troubles psycho-traumatiques complexes sont infiniment plus fréquents que les ESPT purs, comme en clinique en général, mais ils passent souvent inaperçus.
Toutes les formes de maltraitances, récentes et/ou anciennes, devraient par conséquent être systématiquement recherchées dans tout bilan clinique initial au même titre que les antécédents médicaux, chirurgicaux, psychiatriques, allergiques, addictifs, judiciaires, etc. Poser systématiquement la question permettrait d’obtenir des réponses, ce qui constituerait une nouvelle chance de reconnaissance car bien souvent les révélations antérieures, explicites ou implicites, ont été négligées voire purement et simplement niées.
La recherche est essentiellement consacrée à la prise en charge de l’ESPT, beaucoup moins aux traumatismes répétés qui posent des problèmes de prise en charge complexes.

Les signes des troubles psycho-traumatiques complexes

De plus en plus d’adultes révèlent spontanément ou à la demande de leur thérapeute avoir subi des maltraitances dont des agressions sexuelles répétées dans l’enfance. Parfois, ils ne font pas le lien entre leurs troubles actuels et les événements traumatiques subis qui ont affecté plus ou moins gravement leur capacité de régulation des affects et la structuration narcissique et identitaire de leur personnalité. Il ne faut par conséquent pas se laisser aveugler par l’évidence des troubles psycho-traumatiques spécifiques qu’ils présentent (intrusions, évitement, hyperactivation neurovégétative), mais rechercher des troubles de la personnalité.
Ces « personnalités traumatiques complexes » présentent des troubles dissociatifs, une incapacité à faire confiance aux autres, une agressivité, la répétition des éléments traumatiques dans des relations actuelles, des passages à l’acte hétéroagressif et sexuel, des comportements automutilatoires, des idéations suicidaires, des prises de risque excessives, une absence d’estime de soi, une forte culpabilité, de la honte, une tendance à idéaliser l’agresseur, des conduites de revictimation, des troubles somatoformes, des troubles des conduites alimentaires comme le montre de façon exhaustive le tableau suivant qui décrit le : 

Dévelopmental Trauma Disorder :

A. Exposition :

1. Maltraitances diverses : abandon, trahison, agressions physiques, agressions sexuelles, menaces à l’intégrité corporelle, pratiques coercitives, violence psychologique, être témoin de violence ou de mort.
2. Expériences subjectives négatives : rage, trahison, peur, démission, défaite, honte.
B. Dysrégulation des réponses aux signaux traumatiques (durables, répétées, non modifiées par la conscience): Troubles émotionnels, somatiques, du comportement (p. ex., répétition, automutilation), cognitifs (attente d’une répétition des événements traumatiques, confusion, dissociation), relationnels (violence, opposition, méfiance, hyperconformisme), Honte, culpabilité
C. Attentes et croyances erronées : manque de confiance en soi, méfiance envers les autres, manque de confiance envers l’environnement, le monde, les autres, attente d’autres événements traumatiques
D. Perturbations : scolaires, familiales, relationnelles, judiciaires, professionnelles

Ces sujets hyperémotifs, prétendument alexithymiques (difficulté à exprimer ses émotions), se dissocient lorsqu’ils sont confrontés à des situations rappelant ou symbolisant le ou les événements traumatiques. Les sujets perdent alors la capacité de contextualiser l’événement, l’inscription des mémoires traumatiques se renforcerait et des lésions neurotoxiques cérébrales pourraient se produire.
Certaines conduites paradoxales socialement ou judiciairement stigmatisantes (automutilations, conduites à risque, conduites hétéroagressives, consommation de produits psychotoxiques, conduites sexuelles déviantes, etc.) leur permettent de se mettre dans un état dissociatif d’anesthésie émotionnelle qui les soulage, comme ces adolescents qui s’automutilent par exemple.
Ces troubles de dysrégulation de la gestion des émotions sont également probablement responsables du phénomène de répétition littérale que de nombreux praticiens ont repéré dans leur mode de fonctionnement, lequel se déploie dans de nombreux domaines qui permettent de remettre en scène les scenarii traumatiques :
– le terrain prostitutionnel permet de rejouer, littéralement, l’emprise familiale et l’inceste et de répondre ainsi à la malédiction perverse : la femme prostituée devient la chose des clients qui l’achètent comme le faisait le père, tandis que le proxénétisme est un rapport de domination rappelant la dynamique familiale d’emprise totalitaire ;
– les sujets éternellement agressés dans leurs relations de couple et dans leurs contacts avec les professionnels et les institutions rejouent souvent littéralement leur enfance maltraitante ;
– les femmes violées dans leur enfance ont malheureusement des relations sexuelles avec leurs thérapeutes
– etc.
Cette répétition littérale peut également s’exprimer dans le domaine de l’agression directe. On parle alors d’identification à l’agresseur, mécanisme psychologique initialement décrit par Ferenczi et qui explique la perpétuation des lignées d’agresseurs. C’est ainsi que l’on peut expliquer le parcours de certains sujets borderlines avec aménagement « psychopathique » qui règlent constamment leurs comptes avec leurs parents maltraitants par l’intermédiaire des autorités répressives, représentations symboliques, qui les « maltraitent » de plus en plus en prononçant des peines de prison de plus en plus prolongées, équivalents symboliques de situations « abandonniques ».

Prise en charge

Rechercher l’événement traumatiques causaux, les nommer avec les termes de la loi s’il s’agit de crimes ou de délits (viols, agressions physique, violences psychologiques, emprise sectaire, etc.).
Poser le problème d’un dépôt de plainte si les faits ne sont pas prescrits, mais sans faire pression sur le patient.
Orienter la victime vers une association d’aide spécialisée.
Orienter vers un thérapeute spécialisé.
Thérapie :
Les soins sont difficiles et prolongés.
Un cadre thérapeutique adéquat permet de mettre en place une thérapie relationnelle qui fasse en sorte que nulle répétition ne puisse survenir afin de réécrire le scénario traumatique.
Il est difficile voire impossible d’exposer trop rapidement le sujet au scénario traumatique qui risque d’entrainer un phénomène de dissociation entre son cerveau émotionnel et son cortex préfrontal : il fait par conséquent privilégier les techniques qui lui permettront de mieux contrôler ses émotions.
Ultérieurement, dans une perspective intégrative, une prise en charge multimodale permet d’accélérer le traitement. 

Traitement :

Inciter à porter plainte si l’événement traumatique est un délit ou un acte criminel.
Orienter la victime vers une association d’accompagnement social et judiciaire, parfois en fonction de l’événement traumatique [LHT].
Favoriser la procédure d’indemnisation [LHT] en lui conseillant de prendre un avocat [LHT] et un médecin conseil de victime dit de recours[LHT], indépendant des compagnies d’assurance en cas d’expertise d’évaluation des séquelles.
Les frais de recours peuvent être pris en charge par l’assurance de protection juridique [LHT] de la victime.
SOINS
Rechercher des événements traumatismes anciens qui pourraient compliquer le tableau clinique et le traitement.
Si la personne n’a pas d’antécédent traumatique, le traitement est relativement simple et bien codifié.